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Rassim Bekhechi

Tranches de survie : Sélim

Voilà donc comment Sélim entrevoyait Mira, comme LA femme, mais c’était là peut-être le défaut de Sélim, si on pouvait appeler ça comme ça, en tout cas, le trait de caractère qui faisait souvent défaut chez Sélim quand il s’agissait de relations amoureuses, car durant presque toute sa vie, il avait idéalisé les femmes dont il était épris ou amoureux, ce qui lui avait joué pas mal de mauvais tours, sa confiance en lui en avait été constamment ébranlée, d’où son incapacité à entretenir une relation saine et forte avec une autre personne, considéré par intermittence collant, trop fleur bleue ou trop sentimental, ou alors trop direct et pas assez patient pour la gente féminine, il n’avait jamais réussi à passer le cap de l’amourette passagère ou de l’amitié étendue (ça dépendait des cas), même s’il était vrai qu’avec l’âge et les années, que ce soit les siens ou celles de ses conquêtes, ça avait tendance à changer.


Jusqu’à sa dernière relation, qui avait quand même durée deux ans et demi, et avait l’air inébranlable et partie pour durer, si il n’y avait pas eu le cataclysme politique de 2032 et l’accession au pouvoir du PNF avec l’avènement de la Sixième République, enfin si on peut appeler “ça” république, vu que tous les pouvoirs sont concentrés au niveau du conseil nationaliste composé de trois personnes, Sélim se plait à appeler ça le triumvirat, car c’en est un, entre l’opportuniste historienne Roze Cimmure, l’héritier hypocrite Remi Palenne et l’étoile pas très montante Charlie Arammon, ceux-là ont réussi à s’entendre malgré leurs quelques divergences afin de se garantir l’accession au pouvoir.


Sa rupture à été donc inévitable, Emilie (son ex) n’avait pas pu résister à la pression de ses parents et de son entourage, c’était très mal vu dans ces milieux qu’une jeune fille de son rang fréquente un “Arabe” ou assimilé, de toute façon pour ces gens là, il n y avait aucune distinction entre un Marocain, un Algérien, un Égyptien ou un Saoudien, de Laâyoune à Mascate, en passant par Alger, Tunis ou le Caire, c’était tous les mêmes, tous des Arabes, qui à part quelques investissements ou autres richesses nécessaires (spécialement ceux des pays du Golfe) étaient sans attrait et sans intérêt, pire, il fallait à tout prix et coûte que coûte s’en éloigner.


Il reste toujours des couples dits mixtes, mais qui sont obligés de vivre leur amour en clandestinité, avec impossibilité d’avoir des enfants dans des conditions saines, sous peine de devoir s’exiler, on en revient encore à l’exil, l’exil pour la liberté, l’exil pour l’égalité, l’exil pour la vie, tout simplement.


Sélim se remettait de cette rupture petit à petit, mais ce n’était pas facile, pour plusieurs raisons, tout d’abord, il était persuadé que rien ne pourrait déroger à l’amour que lui et Emilie éprouvaient l’un pour l’autre, et avait une confiance aveugle en cette dernière, il aurait jamais pu s’imaginer qu’après tout ce qu’ils avaient traversé ensemble, obstacles et embûches, Emilie craquerait et plierait sous la pression.


Ils avaient même commencé à parler mariage, à parler enfants, en somme à élaborer un projet de vie concret et détaillé, c‘était d’ailleurs une obsession chez Emilie que Sélim a dû accepter, celle de tout organiser, de tout planifier à l’avance, cela dérangeait Sélim d’un côté mais le rassurait de l’autre, sur le fait qu’Emilie et lui, c’était du sérieux, et que rien ne pourrait les arrêter.


C’est tous ces paramètres qui avaient d’ailleurs poussé Sélim à affronter sa famille et ses amis, car il était persuadé que ça valait largement le coup, car oui, il a dû traverser, comme Emilie d’ailleurs, chacun de son côté mais aussi ensemble, préjugés, stéréotypes et autres pièges et embûches pour préserver leur relation.


Car oui, il y en a eu des obstacles et pas des moindres, autant dire que c’était le parcours du combattant pour le couple, convaincre les parents de part et d’autre, d’une rive à l’autre, que deux personnes qui s’aiment, même si elles viennent de deux cultures différentes, peuvent réussir à construire quelque chose de beau et d’harmonieux.


Côté français, c'est-à-dire l’entourage d’Emilie et principalement ses parents, le couple a dû faire face au cliché de l’étranger qui veut régulariser sa situation à travers le mariage, ou alors de celui qui veut convertir la fille, lui mettre le voile et tout ce qui s’en suit, déjà qu’Emilie n’était pas sur la même longueur d’onde avec ses parents, et spécialement avec sa mère sur pas mal de questions, le fait qu’elle se mette avec Sélim était perçue par celle-ci comme un défi que sa fille voulait lui lancer, et par conséquent que ce n’était pas sérieux, elle est restée dans ce déni jusqu’à ce jour de juillet 2031 où Emilie annonça son intention de se marier avec Sélim, et, à ce moment-là, la crise est repartie de plus belle, c’était tellement violent qu’Emilie avait même envisagé de couper définitivement les ponts avec ses parents, ou en tout cas avec sa mère.


Côté Sélim, c’était plus ou moins la même chose, mais moins chez ses parents que chez le reste de sa famille, il suffisait tout simplement de transposer les codes sociétaux de l’autre côté de la Méditerranée, là aussi, le couple et principalement Sélim en a entendu de toutes les couleurs, qu’Emilie allait le convertir, que Sélim allait devenir un pochtron buveur d’alcool, qu’il allait avoir des enfants non croyants ou de la mauvaise religion, ou encore que la majorité des françaises ou étrangères divorçait de leurs maris au bout de quelques années.


Ces réactions provenaient en majorité des anciennes générations, celles des nouvelles étaient dans un certain sens plus hypocrites : d’un côté, on félicitait Sélim d’avoir pu séduire une gawria (une française, une blanche), mais de l’autre, on disait que c’était quand même très osé de se mettre avec une étrangère, et que c’était pas dans les coutumes, pas dans l’ordre des choses.


Pour ce qui est des amis, la plus grande partie était commune à Sélim et Emilie donc pour ceux-là, ça ne posait pratiquement aucun problème, par contre quand il s’agissait de connaissances un peu plus lointaines comme les copains de lycée ou de collège, il pouvait y avoir quelques tensions ou quelques réflexions, et celles-là c’est beaucoup plus Sélim qui les subissait, car le couple vivait en France et que Sélim avait plus souvent l’occasion de voir les amis d’Emilie que le contraire.


C’était beaucoup plus des questions incessantes, qui du reste ne partaient pas fatalement d’un mauvais sentiment, mais qui avaient le don d’énerver Sélim au plus haut point : des questions sur ses croyances, sur son régime alimentaire, sur la guerre d’Algérie ou sur les problèmes de discrimination et d’islamophobie ".


Rassim BEKHECHI

Extrait du roman "Tranches de survie", aux éditions Les Éditions du Net.


 

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